Très franchement, je n'étais pas mécontent de moi-même. Pas que le contraire m'était habituel, mais cette fois, je doublais le plaisir. Non content d'avoir enfreint une nouvelle fois les règles, d'avoir rendu Ronald Weasley malade par ma seule présence et de m'être dégotée une heure de retenue dont il ne voudrait pas s'occuper, j'atteignais ma cible secrète.

Ce n'est un secret pour personne chez les vert et argent. Je passe rarement mes nuits à dormir et avant que l'un d'entre vous aille me faire une réputation que j'ai déjà - et qui est totalement fausse, je n'accorde pas d'attention à assez de nanas pour en ramener assez tous les soirs ; je passe mon temps à travailler et recoller les morceaux de mon cerveau qui sont restées dans le passé. Un travail long, très souvent douloureux car au prix de nombreux cauchemars et de cernes occasionnels. Quand les murs du dortoir ne savaient plus me tenir ou que ma mauvaise humeur risquait de balancer du profil de nuisance dangereuse à celui de tueur en série, je décidais de sortir tout bonnement de mon dortoir sans faire le moindre effort pour me cacher.
Tant pis si Rogue était au coin du couloir, tant mieux si c'était un des petits préfets facile à expédier à l'autre bout du château et encore mieux si personne ne se trouvait sur mon chemin tout court. Et non, je n'ai encore jamais envoyé un préfet à l'autre bout du château. Un élève, oui mais pas un préfet quand même. J'ai mes limites. J'ai assez de décence pour leur faire croire que je suis somnambule, ce que personne aurait de mal à croire avec la tête que je me tire ces derniers jours.

Cette fois, la raison de ma sortie était toute autre : j'avais à faire à la bibliothèque. Des recherches pour la création de nouveaux objets et nouveaux sorts, des créatures aussi. Et Weasley était tombé sur moi à mon retour tout comme Rogue. Tous deux ont réussi tant bien que mal à convenir de mon sort et c'était donc ainsi que je me retrouvais devant la salle de retenue, attendant Hermione Granger.
Qu'est-ce qu'elle allai bien pouvoir faire là hein ? Si je me souvenais bien, Ron Wealsey avait d'autres obligations... Donc seule une personne sur qui il pouvait se reposer allait devoir le seconder pour cette fois. Et on savait tous qu'Alexis Rosier ne le ferait pas. Donc qui était préfet/préfète et avait la tendance à babysitter notre petit lionceau perdu ? Granger.

Il était 17h30, j'étais devant la porte, adossé au mur, les bras croisés et les yeux fermés. Ce n'est qu'en entendant des pas se rapprocher que je relevais mes paupières pour piéger de mes iris la silhouette de la jeune Gryffondor.

Pablo - Granger. Evidemment.

Je fis une courbette, forçant exprès le trait révérencieux absolument pas nécessaire. Mon sourire était ricaneur, mes dents laissant siffler un très léger rire. A quoi bon me donner des airs de chérubins qui a seulement fauté ? Tout le monde pouvait dire que j'avais tout du loup dans la bergerie. Elle devait en avoir entendu des vertes (et argent) à mon sujet ; alors autant la mettre de suite à l'épreuve de la bête.
Me décollant du mur, je lui fis face.

Pablo - On dirait qu'on va devoir passer cette heure ensemble. Tu préfères quoi ? Une balade au parc ? Mieux, on va se lire de la poésie à la bibliothèque ?

Je n'avais aucune intention de prendre cette heure de retenue trop au sérieux. Loin de moi l'envie de la mettre sur les nerfs, d'où mon ton léger. Je n'avais jamais réellement échangé avec elle, pas à mon souvenir en tous cas. Et autant dire qu'avec ma perte de mémoire, mes souvenirs n'étaient que peu fiables.
Je me surpris à la dévisager quelques secondes, cherchant : et si j'avais déjà eu cette idée auparavant ? Cette idée folle que cette sorcière était une candidate plus qu'idéale.

En outre, je n’ai pas l’air comme ça, mais je ne suis pas quelqu’un de difficile. Je veux quelque-chose ? Je le demande. On ne me le donnerait pas ? Je l’arracherais de mes mains. Je m’ennuie ? Je trouve une distraction. Il n’y en aurait pas ? J’en inventerais une. Tu me gaves ? Je te réduis au silence ou me casse, tout dépend de ce qui est le plus grisant.
On ne peut plus simple non ?
Des gens trouvent cependant le moyen de ne pas me cerner. Soi-disant qu’on ne sait jamais réellement ce que je veux ou ce que je peux bien décider de faire. Certes, je prends mes décisions souvent sur l’instinct mais tout, et absolument tout, fait partie d’une logique laissant peu de place à la discordance. En réalité, si on m’étudie bien, ma façon de faire est certes déroutante mais il est facile d’établir quand je vais agir. Non pas sans manque de précision. Mais aimant fortement jouer avec ma proie, je préviens avant.
En outre, je suis un chat. Je joue longtemps avec ma proie au risque qu’elle parte avant le jour où je me décide à porter le coup fatal. Car franchement, même une petite chasse me conviendrait.

Hermione Granger était une proie différente. Elle était délicate. Par la nature de ce que j’attendais d’elle – et que je savais inaccessible, si on se fiait aux mœurs de la sorcière. Cependant, la chasse et le jeu n’en restait pas moins motivant. Par la capacité de réflexion de la jeune sorcière mais aussi sa façon d’agir et réagir. Je respectais beaucoup son caractère, oui. Raison pour laquelle la plupart des serpentards étaient des idiots finis pour en faire l’objet de moqueries – non pas pour son sang, pas besoin d’être à Serpentard pour ça bien que ce fut l’une des raisons principales de nombreux de mes compères. Mais il faut reconnaitre que les raisons les plus raisonnables se plaçaient dans ses fréquentations, ses affiliations et son côté « je m’allonge sur mon pupitre en levant la main pour répondre, s’il-vous-plaît, monsieur, madame, donnez-moi l’attention que je mérite en tant que petit génie bien sage qui tout appris pour vous éblouir » (ce n’est pas ce que je pense, j’en pense rien de ça, je dors en cours… cela dit j’étais inspiré). Bref, nombreuses étaient les raisons que certains trouvaient pour ne pas apprécier la née-moldue. Des détails selon moi.
Elle avait du talent et ne s’était pas laissé démonter au fil des ans par les remarques. C’était un point admirable, ou au moins respectable. Pas que j’en sache grand-chose encore une fois d’un point de vue d’expérience, me fichant souvent royalement de ce que les autres pouvaient dire. Mais beaucoup de vert et argent étaient incapables de vivre sans l’accord de la majorité. Une dépendance handicapante selon moi.

Voilà pourquoi mon entreprise ne me semblait pas toute perdue. Mon intérêt serait dans tous les cas satisfait par cet échange, je l’espérais fortement – sinon, elle allait devoir rembourser ce temps perdu et pas des manières les plus sympathiques.

Bonjour à toi aussi. Oh ? Avais-je manqué de délicatesse déjà ? Allons, Granger, tu es assez maligne pour savoir que ça allait se passer ainsi.
Un petit sourire fendit ma bouche. Cela donnait déjà le ton et j’avais hâte de passer les petites piques bien gentilles pour rentrer dans la phase sarcasme qu’elle maîtrisait très bien. Je vivais pour ceux-là, appréciant autant les miens que ceux des autres.
Nous ne quitterons pas cette salle, désolée pour toi. Les ASPICS approchent à grand pas et il n'est pas question que tu me mettes en retard. Je fis mine de serrer mon cœur, me laissant tomber d’une manière des plus dramatiques sur un pupitre. Je l’observais avec attention, la voyant s’appliquer à m’ignorer. Je laissai glisser alors un sourire presque attendri. Ce que c’était mignon, ces tentatives et cette envie de tout contrôler. En vain.
Donc le seul programme que je te propose est le suivant.   Je haussai un sourcil en regardant l’ouvrage qui venait de faire trembler la table. Sérieusement ? Ce livre ? En toute franchise, je m’attendais à un peu mieux que ça.

« Loin de moins l’envie de transformer ton Optimal en Effort Exceptionnel, Granger. Je te prie de bien vouloir croire que je suis pour l’éducation de tous les sorciers, surtout quand ils ont du talent… » Je tirai donc un parchemin, feignant de commencer à me mettre au travail. Je me tournai cela dit sur mon siège pour lui faire face, utilisant ma baguette pour toucher le livre dont elle semblait être… si fière ? Protectrice ? La gardienne sacrée et suprême ?
« Cependant… J’ai un peu d’estime pour toi et suis donc certain que tu le connais déjà très bien. Après, que tu me sous-estime à ce sujet, j’entends en effet, je n’en serais pas offensé. Ne t’en déplaise cela dit, durant mes premières années ici, j’étais aussi du genre à me ruer sur ces lectures. J’en suis aujourd’hui très insatisfait. Ma gourmandise, mon avarice. » J’assortis cet aveu d’un haussement des épaules comme si ce n'était absolument rien.

Un soupir m’échappa. « Je ne te flatte pas, c’est une évidence. Tu es plus académique et intellectuelle que moi. Par conséquent, je m’attendais à un plus grand voyage. Tu me proposes, L’Histoire de la magie, hm ? Sortons un peu des murs conventionnels qui sont soi-disant notre sécurité. Et cela sans bouger de cette pièce, très chère. Dépassons un peu les objectifs des ASPICs, après tout, bientôt, nous n’aurons plus d’examens. Seules nos ambitions nous tireront vers l’avant. »

Mes mots devenaient légèrement intenses, je pouvais le sentir. Fort heureusement, mon sourire carnassier donnait un peu d’espièglerie à mon discours. J’avais encore envie de jouer un peu avant de passer à l’action.
Sentant donc que je devais quelque peu me calmer, je pris le livre pour le feuilleter, comme au bon vieux temps où Poudlard et son apprentissage me suffisaient. Tout a changé très vite pour moi.

« Que comptes-tu faire après tout ? Entrer au ministère ? Beaucoup des ‘miens’ détesteraient cette idée, tu t’en doutes. Manque d’originalité de leur part. » Je fis un signe de la main, comme pour balayer ce fait inintéressant. Ils étaient idiots, elle le savait et moi aussi. Je repris presque aussitôt. « Ou te verrais-tu plutôt dans l’enseignement ? Ou encore dans la création ? Un cerveau comme le tien a le potentiel d’apporter du changement quelque part, je pense. Alors selon toi, qu’est-ce que le monde magique d’aujourd’hui a besoin de changer ? Je trouve que c’est un excellent sujet de réflexion ou serait un bon devoir, en toute humilité. Quoique… » soufflai-je plus bas, admettant bien volontiers que l’humilité et moi… « J’ai plein de suggestions pour ma part. » J’avais énoncé tout cela sans même la regarder, me prêtant un air aussi détaché et nonchalant qu’à l’ordinaire. Je laissais passer quelques minutes avant de la regarder, les yeux brillants d’intérêt. Je suis un bon chat, Granger.